#SansFiltres. L'histoire d’un vrai confinement...
Voici l'histoire d'un VRAI confinement par le Dr Elodie Gouache du service hémato-oncologie pédiatrique de l'hôpital Armand-Trousseau. Service dans lequel nous nous sommes construits et dans lequel nous intervenons depuis 2018.
"Alors voilà, je vais vous raconter l’histoire de ce qu’est un VRAI confinement.
Les protagonistes s’appellent Léo, Hannah, Mohamed, Théo, Enzo, Sarah, Nathan, Abdellah, Camille, Noah, Maé *. Ce sont des enfants : ils ont entre 1 an et 16 ans. Leur point commun ? ils ont tous un jour eu un diagnostic de maladie grave, une leucémie pour la plupart d’entre eux. Leur maladie met à plat leur production de globules blancs et leur système immunitaire.
Pour traiter leur leucémie, ils ont du recevoir de la chimiothérapie, parfois des immunosuppresseurs. Pour les protéger, il a fallu les confiner. Oui, oui, les confiner, comme vous et moi (sauf les jours où je me rends avec mes collègues à leur chevet pour les soigner).
Mais qu’est-ce donc qu’un confinement à l’hôpital quand on a une leucémie ou un déficit immunitaire grave alors qu’on n’est qu’un enfant ? C’est vivre dans une chambre de 8 à 12 m² où vous ne trouverez comme meubles qu’un lit médicalisé (dont la qualité du matelas vous ferait aussitôt regretter de ne pas être confiné dans votre maison), un adaptable, un fauteuil, une chaise percée pour y faire ses besoins. Et c’est tout. Dans certains services, on se paye parfois le luxe d’un lit de camp pour qu’un parent (oui, au singulier) puisse dormir la nuit auprès de son enfant, malade.
Léo, Hannah, Mohamed et les autres n’ont pas le droit de sortir de la chambre. Si on protège nos chers petits patients dans ces chambres, c’est parce qu’ils n’ont pas les moyens de se défendre contre les bactéries, les champignons et les virus qu’ils pourraient rencontrer à l’extérieur. Ils n’en sortent pas pour se laver. Ils n’en sortent pas pour aller aux toilettes. Ils n’en sortent pas pour manger. Ils y restent confinés 24h/24, 7j/7.
Comment sont rythmées les journées de Sarah, Enzo, Nathan et les autres ? Ça commence par des pompes et des pousse-seringues qui sonnent la nuit alors que vous, c’est votre téléphone et ses notifications Instagram ou Twitter qui font vibrer le téléphone. Le réveil c’est souvent par l’infirmier.e à 06h du matin qui vient faire les premiers soins. Entre 09h et 11h c’est la visite médicale par les internes et les médecins séniors, la toilette par les auxiliaires de puériculture, et encore d’autres soins, notamment les chimiothérapies ou les ponctions lombaires.
Quand ils sont suffisamment en forme, les instituteurs de l’école à l’hôpital passent dans la chambre faire la classe. A midi, c’est le plateau repas de l’hôpital. Et quand on est malade, dans une chambre protégée et sous chimio, on ne mange pas ce qu’on veut. On oublie le saucisson ou les bons œufs à la coque de la ferme !
Alors que vous, vous pouvez encore commander des sushis ou acheter un croissant à la boulangerie.
L’après-midi, les soins se poursuivent mais la journée peut être bien longue. Ah, ça oui, ça leur arrive de s’ennuyer ! Mais ils inventent des histoires, reçoivent la visite des clowns, de Baskets aux Pieds, ils se reposent, bref ils trouvent des moyens de s’occuper.
Je vous épargnerais bien les vomissements et les douleurs que peuvent ressentir nos chers protagonistes mais ce serait vous mentir sur la réalité du quotidien de Léo, Hannah, Mohamed, Théo, Enzo, Sarah, Nathan, Abdellah, Camille, Noah, Maé.
Mais combien de temps ça dure ce confinement ? Suivant leur maladie, Noah, Camille ou Théo ont pu passer quatre semaines à six semaines dans une chambre protégée (voire « stérile »). D’autres ont du y revenir plusieurs semaines après une période de répit. Enfin, certains y sont même restés des mois. Des mois entiers sans aller à l’école ni voir leurs copains. Des mois entiers sans retrouver leur chambre, leur lit, leurs jouets à la maison. Des mois entiers sans pouvoir voir leurs frères et sœurs. Désormais, avec l’épidémie du Covid-19, ils se retrouvent même à choisir entre leur père ou leur mère puisqu’on se doit de limiter les visites.
Alors quand je vous vois pleurnicher pour un confinement CHEZ VOUS, je ne vous comprends pas. Quand je vous vois sortir cinq à six fois par jour pour de faux prétextes, en groupes, je suis en colère. Quand j’entends les « sportifs » râler parce qu’on n’a plus le droit de courir 10 km par jour dehors, je suis exaspérée. Quand je comprends aujourd’hui que l’épidémie risque de mettre en péril les soins de chimiothérapie d’enfants gravement malades, de mes patients pour qui je me lève chaque matin, parce qu’on va devoir envoyer les soignants dans les services de soins intensifs et de réanimation face à la propagation incontrôlée de cette épidémie, j’ai peur.
Léo, Hannah, Mohamed, Théo, Enzo, Sarah, Nathan, Abdellah, Camille, Noah, Maé et tous les autres ne méritaient pas de tomber malade. Ils ne méritaient pas de vivre ce confinement. Et pourtant, ils ont fait face avec courage et patience à la maladie et à l’isolement. Si des enfants ont pu le faire, vous, citoyens, adultes, pouvez également le faire. Surtout quand on sait que les conditions de votre confinement sont bien plus confortables que les leurs, ne serait-ce que parce qu’on ne viendra pas prendre votre température la nuit quand vous dormez et parce que vous avez le droit d’ouvrir la fenêtre.
Il en va de votre responsabilité de respecter les consignes de confinement. Il est de votre devoir de mettre l’intérêt collectif devant vos intérêts personnels. Parce que vous ne voudriez pas qu’on vous dise que la chimiothérapie ou la greffe de votre enfant, petit-fils ou petite-fille, neveu ou nièce, a dû être repoussée parce que les soignants manquent et sont partis au front lutter contre le Covid-19 que vous propagez jour après jour, sortie après sortie.
Parce que prendre son mal en patience n’est pas impossible puisqu’un.e enfant de 3 ans est capable de le comprendre et de l’accepter. Parce que vous n’avez VRAIMENT pas le droit de mettre en péril l’avenir de Léo, Hannah, Mohamed, Théo, Enzo, Sarah, Nathan, Abdellah, Camille, Noah, Maé et tous les autres petits guerriers."
Elodie GOUACHE, pédiatre en hématologie oncologie pédiatrique
* certains prénoms ont été modifiés
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Photo : (c) Antoine Bonnefille-Roualet - 2020

(c) Antoine Bonnefille-Roualet - 2020